Interview de Blandine Dadillon, élève restauratrice en 3ème année à l’Institut National du Patrimoine :

Blandine Dadillon restauratrice institut national du patrimoine

C’est grâce à eux que les œuvres que nous admirons dans les musées résistent au temps. Trop souvent placés dans l’ombre des œuvres qu’ils “soignent”, les restaurateurs du patrimoine sont un maillon essentiel des collections et du monde de la culture.

J’ai eu l’occasion de rencontrer Blandine Dadillon étudiante restauratrice à l’Institut National du Patrimoine, avec qui j’ai pu évoquer quelques aspects de ce métier fascinant, au carrefour de nombreuses disciplines.

 

Blandine Dadillon restauratrice institut national du patrimoine

Interview de Blandine Dadillon, étudiante restauratrice à l’Institut National du Patrimoine :

En quoi consiste le métier de restaurateur au quotidien ?

Il n’y a pas de journée type, mais plus un processus que nous appliquons pour chaque intervention. Nous bougeons beaucoup, en fonction des missions et des objets, néanmoins il y a un protocole à respecter quelque soit le type d’objets : tout d’abord, la recherche de marché, pour trouver des œuvres à restaurer, et l’administratif. Ensuite peut venir une étude approfondie de l’objet, en fonction du travail qui a été mené au préalable par les services de documentation des musées. Si un objet est peu documenté, il arrive que nous devions mener des recherches historiques complémentaires sur contexte de création. Le gros du travail reste l’analyse technique de l’objet, afin d’établir pronostic et diagnostic : pourquoi il y a-t-il ces dégradations, que faut-il faire pour y remédier, les stabiliser ? Enfin, les interventions à proprement parler sont très variables selon les spécialités et les objets, avec un travail est plus moins long.

J’ai l’impression que les restaurateurs sont souvent seuls,  dans leur atelier… Peux-tu nous en dire plus sur les coulisses et les conditions d’exercice du métier ?

En fait, cette idée est partiellement vraie et fausse. Nous avons beaucoup de moments en équipe ! Surtout lors de projets de grande envergure, comme les peintures murales, les tapisseries… ce sont des objets tellement conséquents qu’un travail seul serait inenvisageable. Des groupements de restaurateurs sont crées, et le travail est redistribué entre les différents membres : c’est une manière de nous relayer et de partager les informations. De même, le travail avec les régisseurs et les conservateurs est essentiel. Encore une fois, tout dépend des spécialités : en sculpture, les restaurateurs sont souvent sollicités pour des œuvres du patrimoine public, comme les monuments aux morts etc… En revanche, les arts graphiques seront parfois amenés à travailler localement, pour des départements archives par exemple. Cela est variable aussi en fonction du type d’objets : il est difficile de déplacer un lit du XVIIème siècle !

Si tu devais présenter ton métier au grand public, qu’en dirais-tu ?

Mon métier, c’est avant tout « réparer » un objet, l’étudier, tenter de remettre certaines choses en état si c’est possible… au moins faire en sorte qu’il n’y ait plus de dégradations qui continuent à se former dans le temps.Mon métier, c’est lier les différentes disciplines : sciences, histoire de l’art, travaux manuels, afin de réaliser des opérations sur les objets. Nous sommes un peu les médecins des œuvres en quelque sorte ! a la manière des médecins qui connaissent l’anatomie, la biologie, et la physique, nous devons concilier ces compétences. C’est un monde très particulier et méconnu qui mélange deux univers que l’on a tendance à opposer (à tort !), les sciences dures et le patrimoine.

En tant qu’étudiante, (et future restauratrice !) il y a-t-il une œuvre qui t’a particulièrement marqué dans ton cursus ?

Il y en aurait plusieurs, mais s’il fallait choisir, il s’agirait d’une petite broderie en satin de soie du XVIIIème siècle à laquelle j’ai été confrontée en stage. Elle était dans un état très complexe : c’était quasiment une restauration sauvetage ! De nombreuses opérations n’étaient pas envisageables, mais ce fut extrêmement intéressant de réfléchir au processus à mettre en œuvre en amont, et comment le mettre en œuvre. C’était gratifiant de mener ce processus de réflexion : la broderie avait en plus subi un dégât des eaux, ce qui donnait un côté encore plus tragique !

Ça me tenait à cœur de restaurer cette broderie, elle venait d’un petit tableau brodé représentant le Saint Suaire de Besançon, on entrevoyait ce qu’elle était supposée représenter par le passé mais qui n’était plus : le christ anciennement peint, dont les fragments de tissu étaient cassés, les prélats brodés, les fleurs… Elle est arrivée dans un état plus que déplorable, mais on a pu améliorer son état sanitaire (au moins). Même si elle doit être encore maniée avec précaution, j’apprécie d’avoir eu l’opportunité de travailler dessus. Elle m’a d’autant plus marquée que je souhaiterais me spécialiser dans les œuvres des monuments historiques lors de mon mémoire.

La broderie avant traitement : 

La broderie en cours de nettoyage et de restauration : 

Blandine Dadillon restauratrice institut national du patrimoine

Pourquoi avoir choisi spécifiquement le textile ?

Pour pas mal de raisons, mais quand je discute avec mes collègues, je me rends compte qu’une raison principale revient souvent : les tissus, de quelque nature qu’ils soient, sont des objets qui ont vécu, et non des œuvres d’art destinées à être exposées dans des vitrines, sans côté authentique de la vie de la personne. Ce qui est fascinant avec les tissus portés ou placés sur du mobilier, c’est qu’ils conservent l’essence de la personne, tout en arborant une esthétique plaisante.

La dimension arts décoratifs m’attirait en somme. Le textile témoigne d’un mode de vie, d’une société… c’est presque une étude sociologique ! Ça me rappelle un costume de scène que nous avions dû restaurer : on y voyait les traces de transpiration, de maquillage… c’est ce côté tangible qui m’a attirée.

Quelles sont les spécificités de la restauration de textiles par rapport aux spécialités les plus connues (peinture) ?

C’est une question TRES difficile. D’un point de vue déontologique, peu de choses changent. Nous avons des bases scientifiques communes, mais un restaurateur de textile devra connaitre entre autres les différents types de fibres, reproduire une teinture, la chimie autour des fibres… il faut aussi évidemment savoir-faire un peu de couture, afin de réaliser des opérations de consolidation. Par exemple, on coud dans la mesure du possible le tissu ancien sur un tissu de support, préalablement peint à la bonne couleur. En revanche, nous ne sommes pas des couturières professionnelles ! Il faut savoir faire des points de base, et avoir de bonnes notions.  En réalité, même si une aptitude pour la couture est essentielle, très peu de restauratrices ont fait un CAP couture auparavant.  

Il y a-t-il des clichés à propos du métier que tu souhaiterais démonter ?

Le premier cliché porterait sur le fait que l’on remplace, recoud ou rebrode (dans le cas des arts textiles). La plupart des gens se méprend sur la codification des pratiques de restauration. En réalité, nous devons suivre une déontologie précise, qui nous empêche de remplacer l’ancien par du neuf ! Jamais il ne sera question d’enlever un élément pour le remplacer par un autre. Notre but est de faire en sorte de conserver le potentiel historique et informatif de l’objet.

Après, tout cela dépend de la spécialité. Par exemple, les livres nécessitent généralement des restaurations plus interventionnistes, car il s’agit d’objets touchés, manipulés au quotidien par les archivistes, les chercheurs. Ce sont des ouvrages avec beaucoup de potentiel informatif, qui demandent donc une plus grande marge de manœuvre. En revanche, la restauration de textile est une discipline assez jeune, ou l’on essaie d’avoir un résultat imperceptible, moins interventionniste.

Effectivement, le métier de restaurateur reste un métier de l’ombre, quelle forme de reconnaissance souhaiterais-tu que le métier possède ?

Je constate qu’il y a de plus en plus de médiatisation sur le métier, quelques journalistes sont venus faire des reportages, ce qui répond à une volonté de faire mieux connaitre la profession au grand public dans sa globalité. Personnellement j’attendrais que cette dynamique continue afin que les gens ne s’étonnent plus de voir des vases cassés dans des expositions ! Notre travail serait ainsi un peu mieux compris, et moins confondu avec celui les artisans d’art qui eux, restent des créateurs.

Les 3 qualités qui sont essentielles pour ton métier d’après toi :

La patience ! Comme dans le cas de la petite broderie du XVIIIème, on ne peut pas toujours intervenir directement, la restauration nécessite d’être en mesure de se poser et d’appréhender les difficultés. Ensuite, la minutie : il faut savoir au moins rendre des travaux propres.

Enfin, l’ouverture à de nombreuses disciplines (sciences, chimie, histoire de l’art, manuel…).

Votre activité a-t-elle été impactée par la crise du COVID ?

En tant qu’étudiantes de l’INP, nous sommes privilégiées, au sens ou nous disposons d’un cadre structuré, organisé. Nous ne sommes pas lâchées dans la nature. En réalité, les conséquences pour le secteur de la restauration arriveront dans les prochaines années bien qu’il y ait eu des annulations de chantiers. Les budgets de la culture étant votés 1 ou 2 ans à l’avance, il n’y a pas eu trop d’annulations de projets ou de coupes budgétaires. En revanche, j’imagine que la situation à venir dans les prochaines années sera nettement plus impactée.

Qu’avez vous pensé de l’interview de Blandine Dadillon, élève restauratrice à l’Institut National du Patrimoine ? 

L’institut national du Patrimoine forme chaque année les professionnels de la Conservation et de la Restauration au sein de ses deux départements : http://www.inp.fr/

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A propos Ambre Delmas 8 Articles
« Éternelle indécise, il me fut impossible de choisir d’évoquer une des 1000 passions qui composent mon quotidien. En revanche, si vous aimez mêler art et politique, en apprendre plus sur le XVIIIEME siècle, ou regarder des films de John Carpenter, alors n’hésitez pas à aller jeter un coup d’œil à mes articles ! »

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