Enfers et fantômes d’Asie
Enfers et fantômes d’Asie. Ce portail fantasmagorique s’est ouvert le 10 avril 2018 et se refermera le 15 juillet 2018.
Musée du Quai Branly, 37 Quai Branly, 75007 Paris
En ce moment, au Musée du Quai Branly, plongez dans un univers fantastique et inquiétant. L’établissement vous propose de voyager à travers toute l’Asie pour découvrir les visions des enfers et des fantômes.
Cette passionnante exposition offre une expérience immersive aux visiteurs qui osent pénétrer dans cette brèche parallèle. Nous vous proposons une brève pérégrination à travers cette exposition.
Visions des enfers
Les différentes visions des enfers dans les pays d’Asie plongent leurs racines dans la philosophie bouddhique. Chaque être vivant n’est que de passage et est amené à traverser plusieurs existences. L’impermanence du monde consacre la mort, et les enfers, comme des purgatoires dans lesquels chacun expie les fautes qu’elle a commise sous la forme de torture. Ces supplices sont figurés dans des temples, sur des rouleaux (exception faite en Inde), portant une vision pédagogique et libératrice. Les âmes rejoignent ensuite le cycle des réincarnations et suivent six voies (chacune associée à un étage du monde) : les dieux et êtres célestes, les humains, les animaux, les démons, les fantômes et enfin les damnés.
En Chine, puis au Japon, en Corée ou au Viêt-Nam, l’analogisme dominant fait des enfers et de son administration une reproduction du système terrestre. Au nombre de 10, les enfers s’organisent autour de cours pénales, dirigées par des roi-juges, assistés par une légion de démons. Différents supplices sont infligés en fonction des méfaits commis durant l’existence précédente. Les figures des bureaucrates infernaux abondaient dans les festivals ou les pièces de théâtre. Il s’agit d’un sujet toujours bien présent dans l’imaginaire de cette région : en 1960, le cinéaste japonais Nobuo Nakagawa s’inspire des jigoku-e (peintures des enfers) du XIIe siècle pour réaliser le film Jigoku, devenu une icône dans le genre du gore et de l’avant-garde nippon.
L’Asie du Sud-Est dépeint également les royaumes souterrains sur les murs des temples, les manuscrits et les rouleaux peints, avec un souci particulier pour la description des tortures endurées par les damnés. Les Trois Mondes (les Paradis, la Terre et les Enfers) s’organisent autour du Mont Meru, l’axe universel et sont corrélés aux différents niveaux de passion. Si les habitants des paradis sont purs et libérés du cycle des réincarnations, la descente vers les strates souterraines est synonyme de voracité, de monstruosité et d’impureté. C’est cette imagerie qui sert de support à la méditation. Tout comme dans la région orientale de l’Asie, les enfers sont toujours populaires, comme en témoignent dans les années 1970 les « jardins des enfers », installant au grand air des exemples de supplices infernaux.
L’exposition illustre chacune de ses visions au travers de supports nombreux et variés, qui mettent en avant l’importance particulière accordée à cette thématique dans les arts de l’extrême orient.
Fantômes errants, fantômes vengeurs
Les revenants les plus connus du monde asiatique sont issus de la tradition japonaise. C’est avec la période d’Edo (vers 1600-1868) que les artistes sont pris de fascination pour les fantômes. En 1603, la dynastie Tokugawa accède au pouvoir et transfert la capitale à Edo. Le bakufu/gouvernement instauré par les Tokugawa marque une période de paix, un essor économique et artistique. La bourgeoisie d’Edo est friande d’histoires fantastiques/kaidan et ses membres se réunissent à l’occasion des Veillées aux Cent Bougies. Le théâtre kabuki est l’un des domaines les plus marqués par les monstres et les fantômes. Les estampes, dont la technique atteint l’apogée à l’époque d’Edo, servent de supports publicitaires à ces spectacles ou sont le fruit d’une imagination prolifique. De grands artistes comme Maruyama Okyo et Katsushika Hokusai fixent l’image du fantôme. Les peintures de yûrei/ fantômes étaient exposées dans les maisons et dans les commerces, pour porter chance. Ces entités sont souvent le résultat d’un destin brisé de manière violente et viennent trouver vengeance. Aujourd’hui ces kakemonos sont affichés pendant la fête des morts/ O-bon. Les fantômes continuent de hanter les arts avec le cinéma : Sadako dans The Ring inspire la base du JHorror ; les trois femmes fantômes les plus populaires Oiwa, Yuki Onna et le Bakemono. Les fantômes sont appréciés dans la culture populaire (manga d’horreur), pour parfois revêtir des aspects moins terrifiants (figurines de la série Kitarô le repoussant, réalisée par Shigeru Mizuki ou la figurine de tanuki pèlerin, conservé au musée du Quai Branly).
En Thaïlande, les entités surnaturelles/ phi, sont des esprits qui font l’objet d’un culte régulier afin de conserver l’équilibre entre les relations hommes/ esprits. La faim est en effet la principale raison de l’agressivité des phi. Mais certains peuvent se révéler malveillants : c’est le cas pour les phi prêt/ revenants affamés, des créatures gigantesques, squelettiques. Ces monstres sont souvent représentés dans les théâtres d’ombres. Les productions cinématographiques ont également façonné une branche « horreur » dans le septième art thaï à partir des années 2000. C’est le cas de Demoniac Beauty, réalisé en 2002 qui reprend la légende du Phi Krasü, que vous pourrez plus amplement découvrir dans les salles de l’expositions.
Le musée du Quai Branly consacre une large part aux fantômes et spectres tourmenteurs. Les effets sonores, les diffusions de films, les projections, les peintures, les objets… tout participe à répandre une ambiance surnaturelle voire angoissante quelque fois. Cette mise en scène permet d’apprécier davantage les œuvres présentées car elle les contextualise, faisant presque oublier les murs des salles d’expositions.
Chasser les fantômes
La dernière partie de cette exposition nous donne la clé pour se débarrasser des esprits malfaisants qui nous ont accompagné tout au long de ce voyage. Chaque région, chaque pays ont mis au point des rites afin de faire fuir les esprits malveillants.
En Chine, le nuo/ rite d’exorcisme se pratique depuis la haute Antiquité, attesté par les pictogrammes représentant les médiums. En fonction des régions, ces rites se déroule de manière différentes : les habitants de la région de Pingxiang convoquent les trois dieux exorcistes de la région pour chasser les maléfices ; la population de la région de Guichi offre un véritable théâtre d’exorcisme (danses, représentations, musiques) destiné à montrer les pouvoirs du juge Bao pour terrifier les êtres maléfiques.
Au Japon, une certaine catégorie de femmes détient, dit-on, des pouvoirs surnaturels. Elles sont reconnues sous le nom d’itako, de miko ou encore de kamisama. Les jeunes filles sont soumises à un apprentissage éprouvant, pour développer leur don d’assurer leur fonction d’intermédiaire entre les vivants et l’au-delà. Elles sont accompagnées dans leur tâche par plusieurs instruments : un arc en bois, un chapelet de trois cents graines de longanes et une paire de « poupées » (bâtons surmontés d’une tête d’homme et d’une de femme). A ce travail de médium s’ajoute celui de chasseuse d’esprits mauvais et de malédictions.
Ces deux voies ne sont qu’une partie des nombreux exemples mis en lumière dans les salles de l’exposition. Une fois encore, ces pratiques sont illustrées par des objets rituels et des séquences cinématographiques.
L’exposition Enfers et Fantômes d’Asie du Musée de Quai Branly, réalisée sous la direction de Julien Rousseau, offre, l’espace de quelques heures, un voyage complet à travers les royaumes infernaux du continent extrême-oriental. On ne peut que féliciter la diversité des œuvres présentées aux yeux du public et saluer la véritable rechercher artistique de la scénographie Attention toutefois, certaines images peuvent heurter certaines sensibilités, c’est pourquoi elle est déconseillée pour les enfants de moins de 12ans. Cette exposition ne s’arrête pas seulement à sa scénographie : de nombreux évènements, pour tous les âges, sont organisés autour des fantômes afin de prolonger l’expérience, et de la vivre autrement : n’hésitez donc pas à participer au Week end d’Enfer qui se déroulera ce 23 et 24 juin.
Pour aller plus loin sur l’expo
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Catalogue d’exposition, Enfers et fantômes d’Asie, Julien Rousseau et Stéphane Mesnildot, Flammarion ; disponible en librairies ou dans la boutique de l’exposition.
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Emission radio France Culture sur l’exposition :
https://www.franceculture.fr/emissions/mauvais-genres/enfers-et-fantomes-dasie
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Programme du Week end d’Enfer :
Recommandation animée
Pour expérimenter la tension et les tourments infligés par des esprits vengeurs, petit conseil pour l’anime Mononoke (et non Princesse Mononoke, autre chef d’œuvre du film d’animation nippon), dessiné par Ninagawa Yaeko et réalisé par Kenji Nakamura.
Réalisation courte (douze épisodes), mais qui présente des graphismes peu communs aux autres séries d’animations : des couleurs vives, une musique angoissante, des prises de vues saccadées et inversées, des histoires prenante… Mononoke est un incontournable de l’anime d’horreur, non par des scènes sanglantes, mais grâce à l’absurde, au non-sens et au suspens qui se dégagent à chaque épisode.
Merci Mathilde R. pour cet article
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