Le Greco au Grand Palais, jusqu’au 10 février 2020
Mystérieux, original, hors norme… difficile de qualifier correctement la peinture du Greco et d’expliquer en quoi elle est si choquante. Le Greco était-il fou ? astigmate ? Les diverses hypothèses avancées n’ont pu altérer l’étonnement que ce génie pictural provoque. Pourtant, le Greco s’ancre en fait dans son époque, éprise de maniérisme et de Contre-Réforme, mais il est vrai qu’avec du recul, ce peintre peut être considéré, peut-être, comme le père des avants-gardes.
Le Greco au Grand Palais, Un peintre byzantin épris de Renaissance italienne
La carrière d’un génie, voici ce que se propose de retracer l’exposition, en quelques 75 oeuvres représentatives. La première salle est particulièrement intéressante en ce qu’elle présente les toutes premières peintures de l’artiste, qui sont en fait des icônes. Né à Héraklion en Crète, région alors dominée par Venise, le Greco se forme en fait dans la tradition byzantine, ce qu’on oublie trop souvent. Peut-être est-ce là une première originalité qui détermine, dès les débuts, le peintre à se faire remarquer.
Après cette formation extrêmement traditionnelle, où l’artiste est un méticuleux artisan qui écrit son icône en respectant des règles bien précises, le Greco rêve du statut d’artiste comme créateur, concept introduit par la Renaissance italienne. La scène artistique est alors écrasée par l’ombre de deux géants : Titien, et Michel-Ange ; Titien aux scintillantes couleurs vénitiennes, Michel-Ange à la force musculeuse. Et pourtant, le Greco parvient à trouver sa propre voie, originale, personnelle, unique, et que personne après lui ne pourra imiter ; n’est-ce pas le trait d’un génie ? Il débarque à Venise en 1567 et se confronte au marché de l’art dominé par les grandes figures de Titien, Tintoret, Jacopo Bassano. Eblouissement pour le jeune peintre d’icône, dont le style change du tout au tout et se jette dans le colorito.
Petit objet de dévotion privée, ce triptyque portatif est souvent considéré comme le point de départ de la carrière renaissante de Greco ; il présente déjà des caractéristiques qui se retrouvent ensuite tout au long de sa carrière, comme la ligne dansante et les couleurs extrêmement vives.
Sans doute peinte lorsque Greco est encore à Venise, cette oeuvre illustre son intérêt pour l’étude sur le vif et le clair-obscur.
Les premières années à Rome
Espérant trouver plus de commandes, Greco part à Rome en 1576. N’ayant encore aucune renommée pour obtenir de grandes commandes de fresques ou de palle, mais déjà inscrit sur les registres de l’Académie de Saint Luc, il se cantonne au domaine des panneaux de dévotion privée sur bois, qui font échos à sa première formation. Ces petits formats lui permettent d’expérimenter de nouvelles iconographies, qu’il réemploie par la suite.
Cependant dès les premières années romaines, Greco reçoit de nombreuses commandes de portraits, commandes qu’il honore dans une facture très personnelle. De tels portraits sont aussi de précieux indices de sa fréquentation des cercles humanistes de son temps.
Plaçant son modèle sur un fond neutre et sombre, le Greco joue sur le contraste lumineux pour faire ressortir la carnation de son modèle, soulignée par une fraise éclatante en dentelle blanche ; un tel portrait tonal, sobre et majestueux correspond à l’élégance du gentilhomme prescrite par Castiglione dans son ouvrage Le Courtisan.
Ce portrait du grand Inquisiteur d’Espagne, nommé peu après évêque de Séville, trouve une postérité évidente chez Velazquez, lui-même repris par Bacon.
L’Espagne et ses nouvelles perspectives
Alors que les hautes commandes romaines lui sont toujours fermées, le Greco entend parler de la grande politique de travaux et de décoration menée par le roi d’Espagne Philippe II à l’Escorial. Le peintre s’installe donc à Tolède et reçoit plusieurs commandes royales. L’Adoration du nom de Jésus, parfait manifeste de la Contre-Réforme, est particulièrement loué et apprécié.
Cette grande palla ou tableau d’autel est tout à fait caractéristique du style du Greco, de par les couleurs acidulées, presque agressives, et de par le canon élancé, déformé, flammulé des personnages, de plus en plus allongé à mesure qu’il s’élève vers le divin. Selon les prescriptions de la Contre-Réforme, la séparation entre le registre terrestre et le registre céleste est clairement marquée ; émergeant d’une nuée, les lettres IHS (Iesus Hominum Salvator) rayonnent d’une splendeur divine apte à éclairer la composition entière.
Outre les commandes royales, le Greco parvient à se faire apprécier des commanditaires privés, les grandes familles de Tolède cherchant à décorer leur oratoire. Pour y répondre, le Greco s’entoure d’un atelier important, où se forme son propre fils. Son style bien particulier, et surtout sa capacité d’invention, de variation autour d’un sujet iconographique classique, sont particulièrement appréciés, tranchant totalement avec les représentations frontales et hiératiques de l’époque précédente. La touche, allusive et rapide, se fait magistrale sur les drapés, qui, variant d’une couleur à une autre, forment ce que l’on appelle des cangianti.
Comme tout artiste de la Renaissance, le Greco se doit d’être un homme complet, et n’en reste pas au seul domaine pictural ; lecteur de Vitruve, il conçoit des architectures éphémères, des retables, des tabernacles. Celui conçut pour l’hôpital de Tavera était un véritable monument miniature qui abritait un ensemble de sculptures dont Greco lui-même était l’auteur, et dont seul le Christ ressuscité nous soit parvenue : il s’agit de la seule statue de Greco connue.
Résumé synthétique de toute l’évolution stylistique du peintre, une des dernières salles de l’exposition Le Greco au Grand Palais, se propose d’étudier comment le Greco a traité le thème du Christ chassant les marchands du temple tout au long de sa vie. Au-delà des évolutions chromatiques et formelles, c’est tout le cheminement du peintre vers la pureté absolue de son art qui est perceptible.
La première version, sage, aux détails finement précisés, rappelle presque un Titien ; puis dans la seconde les drapés se font davantage sculpturaux, les couleurs s’acidifient, la lumière vient violemment illuminer les roses et souligner les bleus : le Greco prend possession de son style. Enfin dans la dernière les personnages s’étirent de plus en plus, se distordent même, les têtes se rétrécissent au profit de corps immenses engoncés dans des drapés mouvementés ; l’ombre se fait plus noire et marquée, la composition moins lisible : nous sommes bien là devant une peinture de la fin de sa carrière.
Le style maniériste de Greco résiste, tant bien que mal, à l’entrée dans le XVIIe siècle, peut-être grâce à l’isolement de la ville de Tolède. Bien loin de se ranger à la nouvelle mouvance baroque, il devient de plus en plus outré, mouvementé, démesuré. Une touche éblouissante et fantastique par certains aspects, longtemps oubliée, et qui n’est redécouverte et remise en lumière qu’avec l’arrivée des avants-gardes au XXe siècle.
Informations pratiques :
Exposition Le Greco au Grand Palais jusqu’au 10 février Lundi, jeudi, dimanche de 10h à 20h / Mercredi, vendredi et samedi de 10h à 22h. Plein tarif : 13 € Grand Palais 3, avenue du Général Eisenhower |
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