Océanie, Du 12 Mars au 7 Juillet
D’Hawaï à la Nouvelle Zélande, la dernière exposition du musée Jacques Chirac relève le défi d’explorer l’ensemble du continent océanien. Aussi diverse par ses traditions qu’elle l’est dans sa géographie, l’Océanie se déploie au Quai Branly. Forte de ces cent soixante-dix pièces d’exception, l’exposition parvient à englober en un seul lieu les guerres internes du continent, la colonisation évangéliste et l’urgence climatique qu’affronte ces îles. Ce parcours initiatique donne un aperçu saisissant d’une Océanie encore méconnue du grand public. Entre modernité et traditions, le visiteur est convié à faire le grand saut dans ses eaux turquoises.
Une exposition au cœur de l’océan
Le visiteur est saisi dès les premiers instants par le bleu profond des murs de l’exposition. Le bleu océan est une première entrée dans le monde océanien. Au contact de l’eau, le visiteur plonge tête la première dans une exposition de grande envergure. L’œuvre Kiko Moana, de plus de 11 mètres de long, happe directement le visiteur. Ses airs de grande vague bleue engloutissent, comme par surprise, le nouvel arrivant. Cette installation contemporaine est un aperçu du mélange entre modernité et tradition que propose « Océanie », tradition par son évocation au textile du tapa (étoffe d’écorce) maîtrisée par les femmes dans le Pacifique. La réalisation du Collectif Mata Aho représente aussi parfaitement le liant entre les diverses civilisations océaniennes : l’océan.
Fil conducteur d’une exposition riche et ambitieuse, l’océan se dessine tout au long de la visite. Les pirogues en sont une énième évocation. Ces embarcations sculptées s’inscrivent aussi bien dans la vie guerrière comme sociale de ces peuples. Indispensables pour la chasse et la guerre, les pirogues jouaient aussi un rôle dans l’initiation des jeunes hommes asmat (civilisation de la province indonésienne de Papouasie) comme dans les rituels de puberté féminins. « La pirogue des âmes » ou wuramon exposée ici pouvait également servir pour transporter le corps des défunts, symbolisant ainsi le passage vers l’autre monde. Plus qu’un simple moyen de transport, la pirogue est la métaphore du voyage. Voyage vers l’âge adulte ou vers l’au-delà. Les proues et les flancs des pirogues sont, à ce titre, agrémentés de figures emblématiques. L’oiseau est, ainsi, un signe récurrent puisqu’il guide les navigateurs dans le Pacifique en leur indiquant tout signe de terre. Il est aussi un chasseur redoutable qui fond sur sa proie à la moindre occasion et résiste aux pires tempêtes.
Une exposition spirituelle et mystique
Le second terreau commun du continent est son tissu dense de croyances. Les masques magnifiquement ornés accueillent et impressionnent le visiteur novice dès le début de son excursion. Le « mana » est omniprésent dans ces sculptures fortes. Terme polynésien, le « mana » se retrouve pourtant dans l’ensemble des îles du Pacifique et représente la source de toute magie. D’un pouvoir symbolique capital, le « mana » imprègne l’ensemble des pièces de l’exposition pour exercer une fascination irréelle sur le visiteur. Cette énergie est décelable dans tous les objets ordinaires du peuple océanien créant un dialogue constant entre le commun et l’hors du commun, le païen et le religieux comme en témoigne ce pupitre de Papouasie-Nouvelle Guinée. Appelés « tabourets d’orateur » par les Européens, ces pupitres sont gardés au centre des maisons des hommes. Lors des discours, la partie supérieure représentant le siège est frappé avec des feuilles de cocotiers ou de cordylines pour ponctuer et souligner les points forts de l’argumentation. Mais ce qui attire le regard du visiteur, c’est ce masque représentant un ancêtre relié à la maison. Gardiens de la maison et conseillers précieux, les esprits des défunts habitent le quotidien de ces hommes et femmes.
Autre témoin de la grande spiritualité qui gouverne ces cultures, ce poteau de maison des îles Salomon. Il n’est en réalité qu’une esquisse des décorations qu’on pouvait observer sur les maisons cérémonielles du village de Funakuma. Ces maisons servaient tout aussi bien de lieu de réception pour les cérémonies religieuses comme d’entrepôt pour les pirogues et armes de guerre. On peut voir sur ce poteau une étreinte entre un homme et un esprit malveillant appelé Matorua. Cet esprit attire ses victimes en prenant l’apparence de l’être aimé. Le poteau de maison devient alors un avertissement mystique.
En parcourant la pièce, le visiteur plonge dans un monde de spiritualité qui rythme les journées de ces peuples. Les armes de chasse et de guerre sont sans doute les objets les plus hantés par les mythes. Les crochets, dits « yipwons », par exemple, servant à la chasse comme à la guerre sont incrustés de reliefs religieux. Ils sont associés directement à la cosmogonie papouasienne puisqu’ils relatent la création par le Soleil des premiers tambours à fente. Instruments de musique apparemment banals, ces tambours mais surtout les éclats de bois résultant de ce travail de création se sont transformés en crochets tout à coup vindicatifs à l’égard du Soleil. Face à la violence de ces crochets, le Soleil fut obligé de fuir vers le ciel. Ces outils de chasse sont donc éminemment métaphysiques.
« La chasse aux têtes » était aussi une pratique guerrière teintée de connotations surnaturelles. Ce rite initiatique consistait à garder les têtes des combattants ennemis pour des cérémonies. Cette pratique garantissait l’équilibre entre les groupes et l’harmonie entre le monde des morts et des vivants. « La chasse aux têtes » est arrêtée au contact des Européens et les têtes humaines vont être remplacées par des têtes en bois.
L’évangélisation par les Européens des îles a profondément influencé l’art du continent. Leur mission « civilisatrice » se fait dans la violence. Avec In Pursuit of Venus (Infected), l’artiste néo-zélandais Lisa Reihana dépeint le choc civilisationnel de cette rencontre. Les dessins de François Jean Gabriel Charvet s’animent sur l’écran panoramique et racontent ce paradis exotique « découvert » par les colons. Un paradis qui, comme l’indique le terme « infected », va se transformer en enfer. Les maladies destructrices et la soumission des natifs de ces îles sont présentées dans ce film peint, qui est ponctué par des chants désespérés. Cette christianisation forcée décrite par l’artiste a créé un mélange composite entre symboles chrétiens et canons traditionnels. On aperçoit ce brassage culturel jusque dans les mouvements de résistance, comme le prouve le drapeau de l’union de Tühoe. Malgré la reprise du code chrétien avec la croix très reconnaissable, ce drapeau est en vérité utilisé dans les révoltes contre l’oppression colonialiste. La croix n’a alors plus aucun sens chrétien mais s’est intégrée paradoxalement dans l’identité autochtone.
Une exposition marquée par des défis contemporains
L’exposition ne se refuse pas un détour par des enjeux bien actuels. Les photos remarquables de Talo Havini et Stuart Miler prises de la série Blood Generation en sont un exemple. Les modèles photographiés sont les visages des victimes de l’explosion de la mine Panguna puis de la guerre civile suivant cette catastrophe (qui durera jusqu’en 2009).
De même, Siva in motion est une œuvre funeste du vidéaste Yuki Kihara. Cette vidéo commémore le tsunami de 2009 qui ravagea les îles Samoa et Tonga. Le temps de la vidéo est choisi puisqu’il est identique au temps du passage de la vague meurtrière. Le performeur au centre exécute une danse, appelé « siva », de haut rang en signe de respect. Comme une lutte contre l’oubli, chaque mouvement de l’artiste laisse une trace bien nette dans le décor sombre.
L’exposition se clôt sur le discours alarmiste et écologiste d’une grande figure engagée du Pacifique. Un rappel pour dire que l’Océanie est en danger. La montée des eaux et le dérèglement climatique sont les menaces du nouveau siècle contre lesquelles le continent doit maintenant lutter.
« Océanie » finit ainsi son voyage poétique sur les îles. Après l’émerveillement, le Quai Branly n’oublie pas de nous conscientiser. Une belle façon de refermer la parenthèse imaginaire tout en créant une envie pressante de partir, à l’autre bout du monde.
Tarif réduit : 7 euros
Entrée Université – 218, rue de l’Université
Entrée des Bassins – 206, rue de l’Université
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