
L’âge d’or de la peinture danoise (1801-1804)
au Petit Palais,
jusqu’au 3 janvier 2021
D’un point de vue politique, économique et militaire, le XIXe siècle s’ouvre pour le Danemark sous de difficiles hospices. Le pays se trouve affaibli par les attaques répétées des Anglais (qui détruisent la flotte danoise en 1801, puis bombardent la capitale en 1807) et la puissance grandissante de la Suède, à laquelle le Danemark doit céder la Norvège en 1814. Et pourtant, c’est dans ce contexte troublé que naît d’un point de vue culturel l’« Âge d’or danois », au cours duquel les arts, les lettres et les sciences dialoguent en harmonie ; et bien que la France connaisse assez peu ce sujet, les noms du philosophe Kierkegaard, du sculpteur Thorvaldsen ou de l’écrivain Andersen ne vous seront pas totalement inconnus. C’est donc cette période d’une richesse et d’une complexité incroyable que se propose de présenter le Petit Palais dans une exposition magistrale, très longue certes, mais ce n’est que pour le plus grand plaisir des yeux.
La naissance d’un académisme nordique et néoclassique à la fois
L’exposition s’ouvre sur la carrière de Christoffer Wilhelm Eckersberg. Artiste majeur, chef de file de l’école de Copenhague, il part étudier en France puis à Rome, avant de revenir à Copenhague en tant que professeur à l’Académie des Beaux-Arts. Or, la peinture danoise du Siècle d’or est à l’image de son style : d’une netteté scrupuleuse et d’une précision photographique, mais toujours rayonnante de cette luminosité blanche et enveloppante caractéristique des écoles nordiques. Et il est frappant de constater les similitudes entre cette manière de peindre et celle de Jacques-Louis David, qu’Eckersberg rencontre justement lors de son séjour en France entre 1810 et 1813.

Profondément marqué par l’influence de David, Eckersberg contribue à rapporter au Danemark le goût néoclassique, qu’il enseigne à l’Académie et qui devient le style prisé par les commandes royales officielles. Pour parvenir à exceller dans le grand genre de la peinture d’histoire, les artistes académiques ne cessent de travailler le dessin grâce à des cours de modèles vivants, réalisés le soir sous un éclairage artificiel de bougies, pour apprendre à poser les ombres sous une lumière constante. Le talent des artistes dans ce domaine devient tel qu’ils sont alors capables de peindre des bas-reliefs en trompe-l’œil, dont l’illusion parfaite tromperait plus d’un œil aguerri.



Dans les coulisses d’un atelier d’artiste…

Grâce à l’idée remarquable de proposer une reconstitution d’un atelier d’artiste, le visiteur opère soudainement un bond dans le temps. Derrière un chevalet encore frais qui n’invite qu’à continuer à peindre, avec une palette toute égayée de couleurs à ses pieds, s’entassent sur des étagères rouleaux de papiers, copies d’antiques, croquis d’étude et toiles tout juste montées sur leur chassis. La présentation de ce bric-à-brac artistique ne fait en réalité que prolonger l’ambiance d’atelier présentée dans les portraits ou autoportraits des cimaises de la salle précédente. Bien plus qu’une simple description d’un atelier, ceux-ci sont aussi une mise en valeur du pouvoir de la peinture et une réflexion sur la nature de l’art. Ainsi dans l’œuvre de Wilhelm Bendz, Un jeune artiste regardant son esquisse dans un miroir, la dimension matérielle et éphémère de l’œuvre, symbolisée par la vanitas du crâne, est-elle transcendée par la présence du miroir, qui suggère l’espace de l’éternité, du rêve, mais aussi de l’illusion.


La reconstitution de l’atelier d’artiste dans l’exposition l’âge d’or de la peinture danoise met également le spectateur aux prises avec le problème du cadrage : des cadres verticaux tendus d’un quadrillage de corde évoquent la technique de la mise au carreau, permettant au peintre de reporter la silhouette des objets depuis son angle de vue sur son dessin. Or, comme la suite de l’exposition le fait très bien remarquer, les artistes danois adoptent toujours un cadrage particulier. Le cas le plus frappant est sûrement la Vue du haut d’un grenier à blé dans la citadelle de Copenhague, de Christen Købke, où l’artiste dépeint sa sœur à travers l’encadrement d’une porte, en haut d’un escalier, conférant à la composition un dynamisme inédit, ainsi que de subtils jeux de lumière entre intérieur et extérieur. Mais on peut aussi penser aux scènes en extérieur où la ligne d’horizon est descendue extrêmement bas pour mettre en valeur les tonalités du ciel et l’élancement des arbres, ou au contraire placée très haute pour mettre l’accent sur la terre ancestrale.

Peter Christian Skovgaard, Le Blanchiment du lin dans une clairière, 1858, Copenhague, Statens Museum for Kunst

Portraits et scènes familiales : un art destiné à la clientèle bourgeoise émergente
La section suivante présente une sélection variée de portraits individuels ou familiaux ; et de fait, après la faillite de l’Etat danois en 1813, la possibilité d’une carrière pour les artistes ne repose plus que sur les commanditaires privés issus de la bourgeoisie émergente. Qu’ils soient commerçants, professeurs ou hauts fonctionnaires, ceux-ci semblent alors avoir compris l’importance du marché de l’art, qui en retour s’adapte à leur goût : les peintres privilégient désormais les tableaux de petits formats facilement présentables dans un salon. Les scènes de famille traduisent à la fois un idéal protestant d’aisance matérielle acquise par le travail, et une véritable intimité chaleureuse.

Wilhelm Bendz, La Famille Raffenberg, 1830, Copenhague, Statens Musem for Kunst

Christen Købke, Ida Thiele, future épouse Wilde, enfant, 1832, Copenhague, Statens Museum for Kunst
La baronne Christine Stampe est portraiturée individuellement de façon saisissante ; grand mécène et bienfaitrice du célèbre sculpteur Thorvaldsen, elle tenait salon et recevait le brillant milieu littéraire, artistique et scientifique de l’époque.
C’est pour cette petite fille blonde qu’Andersen, ami de la famille, avait baptisé un de se contes de fées « Les Fleurs de la petite Ida ». Ce portrait, la représentant à deux ans environ en train de dessiner avec un morceau de craie, est une commande de son père, secrétaire de l’Académie.
Les artistes et le Grand Tour : une inspiration italienne incontournable
L’Académie de Copenhague, précédemment citée, accorde alors aux artistes médaillés une bourse pour réaliser le Grand Tour, c’est-à-dire parfaire sa formation en Italie à l’étude des antiques et des chefs d’œuvre de la Renaissance. Ce voyage est aussi l’occasion d’une liberté nouvelle et d’un grand luminisme de la palette. Cette salle, la plus chatoyante peut-être de l’exposition, n’est qu’une invitation à l’évasion.


Une peinture presque scientifique
Le ravissement n’est pas moins grand dans la section suivante, et j’avoue être tombée en extase devant… un bouquet de fleurs fraîches. Ou plutôt, une peinture si minutieuse que l’on croirait déjà sentir le parfum délicat des roses et la senteur sucrée des fraises des bois. Prenez le temps de contempler chaque détail : de fines gouttes de rosée perlent sur le satin des pétales, finement ourlés d’ombre, des touches vibrantes de lumière créent l’illusion de la brillance pulpeuse des fruits… est-ce là une peinture nourrissante comme en avait rêvé Marcel Aymé ?

Plus généralement, cette peinture d’une précision inouïe s’inscrit dans l’essor des sciences naturelles au XIXe siècle, si bien que l’étude des phénomènes physiques et météorologiques devient à la mode chez les peintres : Eckersberg conseille ainsi à ses élèves de réaliser des études des formations nuageuses, esquisses parfois reprises pour composer les ciels de plus grandes œuvres.

Christoffer Wilhelm Eckersberg, Le Navire russe Asov et une frégate à l’ancre dans la rade d’Helsingør, 1828, Copenhague, Statens Museum for Kunst
La transfiguration de la vie quotidienne
Outre les scènes d’extérieur peintes en plein air, ou les scènes de marine, les artistes se consacrent à fixer l’image de Copenhague, reconstruite après le bombardement britannique de 1807. Par leur talent et leur poésie, notamment dans le rendu inimitable de la lumière, les peintres danois parviennent à créer un art véritablement nordique, comme le voulait l’historien d’art Høyen, tout en transfigurant le cadre le plus simple de leur vie quotidienne en le transformant en œuvre d’art.


L’épilogue de l’âge d’or de la peinture danoise
Cependant, cet Âge d’or danois, caractérisé par une culture unifiée et des traditions communes, est mis à mal avec l’ouverture du Danemark au monde et à la modernisation, l’arrivée du chemin de fer et de la presse illustrée. Les deux guerres de Schleswig, en 1848 puis en 1864, viennent clore cette période par la perte des duchés de Holstein et de Schleswig, administrés respectivement par l’Autriche et la Prusse. C’est donc un âge à part, éblouissant sur le plan artistique et culturel, limité dans le temps mais d’autant plus regretté, que se propose d’explorer cette exposition hors normes, qui ravira les amateurs comme les plus néophytes.
Informations pratiques L’âge d’or de la peinture danoise Exposition L’Âge d’or de la peinture danoise (1801-1804) au Petit Palais, jusqu’au 3 janvier 2021 Avenue Winston-Churchill 75008 Paris Ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 18h Nocturnes tous les vendredis jusqu’à 21h pour les expositions temporaires |
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