C’est envahi d’une étrange quiétude que l’on franchit le portique de l’exposition « Turner, peintures et aquarelles », sans doute frappé par l’agencement minimaliste des pièces en enfilade, qui rompt drastiquement avec les ors du musée Jacquemart-André. Leurs murs aux tons froids font ressortir avec une grande délicatesse les peintures du plus grand représentant de l’âge d’or de l’aquarelle anglaise.
Du voyage naît la lumière, de la lumière naît la couleur…
Guère plus larges qu’une demi-feuille de papier, ces petites œuvres sont autant de fenêtres sur de vastes paysages britanniques, des discrètes ruines anglaises aux majestueux Highlands d’Ecosse. Car si Turner ne composait ses aquarelles qu’une fois de retour dans sa chambre, les voyages jouaient un rôle fondamental dans la recherche de sujets du peintre, qui affirmait lui-même ne jamais être en vacances. Bientôt, avec l’instauration d’une paix durable en Europe, ce sont l’Allemagne, les Pays-Bas, la France, l’Italie et plus encore que le peintre parcourt entre 1815 et 1840, accentuant son traitement déjà intense de la lumière. Si bien que la contemplation des œuvres de celui qui a « appris à regarder le soleil en face » constitue toujours une expérience picturale intense, jamais cliché. L’alchimie spectaculaire des pigments purs dilués, restitue avec talent le caractère éclatant des paysages champêtres européens. Cette virtuosité, qui au passage redonne ses lettres de noblesse à une technique souvent jugée secondaire à l’époque, conduira un critique à qualifier Turner de « magicien », qui « commande aux esprits de la Terre, de l’Air, du Feu et de l’Eau ».
Le maître s’éteint, la clarté demeure
A la fin de sa vie, Turner se livre dans une grande liberté à des expérimentations colorées, dans lesquelles les paysages, baignés de lumière, tendent à l’abstraction. Le peintre convoque sa mémoire visuelle pour ne livrer sur le papier que les nuances les plus vibrantes, réparties en larges aplats de couleur qu’il retravaille sommairement jusqu’à l’obtention du résultat achevé. Ce procédé, il l’introduit ensuite dans ses peintures à l’huile, exposées aux côtés des nombreuses aquarelles. Dissoudre les formes pour laisser toute sa place à l’imagination, telle est l’ambition du peintre à l’aube de sa mort.
D’abord très académique, puis méditative, c’est une facette intime empreinte de modernité que le maître romantique nous laisse entrevoir à travers son legs à la Tate, et que chacun se doit de découvrir, pour mieux comprendre les enjeux de sa peinture.
“Mon travail consiste à peindre ce que je vois, non ce que je sais être là.”
J.W.M Turner
Allez voir Turner, peintures et aquarelles au musée Jacquemart-André
Pingback: Eldorama : à la conquête de l'Eldorado - Exposition Lille