Du tableau au film, l’adaptation comme remède au confinement

La Jeune Fille à la perle, Webber, 2003
La jeune fille a la perle Girl with a pearl earring 2003 real : Peter Webber Scarlett Johansson COLLECTION CHRISTOPHEL

Ces derniers temps, on s’ennuie. Le ciel est gris, les gens sont ternes, et l’atmosphère blafarde. Le reconfinement finit de nous faire sombrer dans cette mauvaise humeur ambiante, en nous imposant le pyjama et le canapé. Les possibilités de distraction semblent ténues, et notre regard n’a que deux options : choisirons-nous la page ou l’écran ? Mais pourquoi choisir ?

Et si cette fois-ci on en profitait pour faire les deux, trouvant le lien par un sujet commun, tout en alternant les supports pour éviter de se lasser ? Oscillant entre plusieurs médiums, l’adaptation métamorphose l’oeuvre, la faisant passer d’une perle picturale à un bijoux cinématographique. Les transpositions sont nombreuses, et l’on passe aisément du tableau au livre, et du livre au film. Fidèle, rêveuse ou bien totalement imaginaire, l’adaptation s’inspire de son chef-d’oeuvre, afin d’en devenir un à son tour.

La Jeune Fille à la perle, Vermeer, vers 1665, Mauritshuis, La Haye
La Jeune Fille à la perle, Vermeer, vers 1665, Mauritshuis, La Haye
La Jeune Fille à la perle, Webber, 2003
La jeune fille a la perle, Peter Webber, 2003

 

 

 

 

 

 

 

Un passe-temps trilogique 

Les tableaux ont tout d’abord grandement inspiré les artistes en tout genre. On peut citer la Jeune fille à la perle de Vermeer (vers 1665), adaptée en roman par Tracy Chevalier (1999), puis repris au cinéma par Peter Webber (2003). Cherchant à retrouver l’ambiance de l’époque, l’identité du mystérieux modèle et le charme du tableau, les deux adaptations se révèlent convaincantes, dans leur volonté de nous faire voyager et de reconstituer, de manière romancée, un moment fondamental de la vie de l’artiste hollandais, celui de son chef-d’oeuvre. Mais Vermeer n’est pas le seul peintre de genre a avoir inspiré l’époque contemporaine. L’intrigue du roman éponyme de Donna Tartt (2014) part ainsi du tableau de Fabritius, Le Chardonneret (1654), pour décrire la vie mouvementée et aventureuse d’un jeune garçon. Le tableau apparaît dans le récit comme le gage du pouvoir de l’art, témoin de son rôle de sauveur du monde, ou du moins de celui du héros. L’adaptation cinématographique de John Crowley (2019), trouvant sa source dans plus des 1000 pages du roman maintes fois primé, choisit, elle, d’appuyer sur le parallèle entre l’oiseau enchaîné et l’homme emprisonné. Dans le film, la beauté artistique n’est plus divine, mais se révèle humaine.

La Ronde de nuit, Rembrandt, 1642, Rijksmuseum, Amsterdam
La Ronde de nuit, Rembrandt, 1642, Rijksmuseum, Amsterdam
Le Chardonneret, Fabritius, 1654, Mauritshuis, La Haye       

 

 

 

 

 

 

 

Une distraction en deux temps

Le réalisateur Peter Greenaway décide lui de se baser uniquement sur l’oeuvre picturale, inventant et romançant à partir des quelques données historiques qui encadrent La Ronde de nuit de Rembrandt (1642), une création cinématographique originale. Le film, deux fois nommé à la Mostra de Venise de 2007, alterne entre passé et présent, réalité et fiction, pour présenter les doutes du peintre hollandais, partagé entre intégrité artistique et devoir familial.

Mais le livre se dévoile parfois comme la seule source d’inspiration, se débarrassant ainsi de son intermédiaire pittoresque et le film largement dérivé de l’argument premier. Ainsi le film La Belle Noiseuse de Jacques Rivette (1991) se base sur la nouvelle de Balzac intitulée Le Chef-d’oeuvre inconnu (1831). La réflexion reste la même, mais change de visage. Le pouvoir de l’art, grandiose et tout-puissant peut mener à la folie, détruisant sur son passage artistes, modèles, œuvres et espoirs.

 

Le Chef-d’oeuvre inconnu, Picasso, 1931
Le Chef-d’oeuvre inconnu, Picasso, 1931
La Belle Noiseuse, Jacques Rivette, 1991
Vue de Delft, Vermeer, 1660-1661, Mauritshuis, La Haye
Vue de Delft, Vermeer, 1660-1661, Mauritshuis, La Haye
Salomé, Moreau, 1870’s, musée Gustave-Moreau
Salomé, Moreau, 1870’s, musée Gustave-Moreau

Le plaisir de visualiser

Les descriptions de tableaux valent elles aussi la peine d’être relues, par la poésie qui en émane et la réflexion qui s’en dégage. On peut citer A la recherche du temps perdu de Proust (1906-1922) et du « petit pan de mur jaune », si obsédant de la Vue de Delft de Vermeer (vers 1660-1661) ; ou encore la Salomé de Gustave Moreau (1876), avec son symbolisme mystique et sensuel, longuement décrit dans le roman huysmansien A Rebours (1884).

L’exemple de L’après-midi d’un faune  

Le poème de L’après-midi d’un faune de Mallarmé (1876) apparaît comme l’oeuvre ultime, tant elle comporte de transpositions. En effet, après avoir été illustrée par Manet, l’oeuvre a été adaptée en ballet par la compagnie russe de Diaghilev. Le danseur Nijinski chorégraphie la scène précédant le poème, sur la musique du Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, tandis que les décors, costumes et affiches sont réalisés par le décorateur Léon Bakst. La modernité de l’oeuvre se retrouve des années plus tard, condensée dans les quatre minutes que durent le clip du groupe rock Queen, dans son titre I Want To Break Free (1984).

L’Après-Midi d’un faune, frontispice, 1876, Manet
L’Après-Midi d’un faune, frontispice, 1876, Manet
I Want to Break Free, Queen, 1984 et L’Après-Midi d’un faune, aquarelle, Bakst, 1912
I Want to Break Free, Queen, 1984 et L’Après-Midi d’un faune, aquarelle, Bakst, 1912

Par la présentation de chef-d’oeuvres sous de formes nouvelles, l’adaptation apparaît comme le moyen de faire voyager le confiné sans qu’il aie à bouger de son canapé. Du tableau au roman, puis du roman au film, tous les médiums paraissent bons pour s’échapper, à la fois divers par leur nature mais similaires dans leur recherche de beauté.

Annexe 

Description par Marcel Proust de la Vue de Delfthttp://www.philippejuvin.fr/index.php/proust-et-le-petit-pan-de-mur-jaune-de-la-vue-de-delft/

Description par Joris-Karl Huysmans de la Saloméhttps://mediterranees.net/mythes/salome/divers/huysmans.html

Poème L’après-midi d’un faune :https://www.eternels-eclairs.fr/Poeme-Stephane-Mallarme-L-apres-midi-dun-Faune

Ballet L’après-midi d’un faunehttps://www.youtube.com/watch?v=4qjvGIMeIhU

Vidéo officielle d’I Want To Break Free: https://www.youtube.com/watch?v=f4Mc-NYPHaQ

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A propos Ysée Dumay 5 Articles
Etudiante à l’Ecole du Louvre, j’adore déambuler dans les expositions et errer au sein des musées. Mes articles sont des invitations à des voyages au coeur de Paris, des virées culturelles dépaysantes, bref des vraies parisienneries. Je vous emmène avec moi ?

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