MONDRIAN FIGURATIF

MONDRIAN FIGURATIF

Du 12 septembre 2019 au 26 janvier 2020 au Musée Marmottan Monet. 

Un carré rouge, un carré bleu et un carré jeune. Quelques lignes noires, toujours se retrouvant dans le croissement d’un axe vertical avec les horizons. Parce qu’il y en a plusieurs chez Mondrian… n’est-ce pas ?

Pieter Cornelis Mondrian (1872-1944) expérimenta avec plusieurs horizons lors de sa carrière et le musée Marmottan-Monet a voulu nous montrer le côté moins connu de l’artiste : le « Mondrian figuratif ».

Tout d’abord, un peu de contexte sur cette exposition : le musée Marmottan-Monet, musée de collectionneur, s’allie avec le Kuntsmuseum de la Haye, dépositoire de l’ensemble des œuvres de Piet Mondrian léguées par Salomon B. Slijper. C’est-à-dire, un musée de collectionneur qui revisite les fonds d’un autre musée de collectionneur. N’oublions pas que les musées de collectionneur ont une difficulté majeure qui est celle de trouver de nouvelles lectures dans le cadre limité de leur collection. Réfléchir sur ce que le goût d’un amateur d’art peut nous dévoiler aujourd’hui est, sans doute, une très belle idée pour lier le passé avec le présent, le visiteur avec ses icônes, la France avec les Pays-Bas.

Extrait du cartel introductoire :

Le devenir de la collection Slijper n’est pas sans rappeler l’héritage de Michel Monet, qui est l’un des fleurons du musée Marmottan Monet. Comme le fils de l’impressionniste, Slijper n’a pas eu d’enfant. Comme Michel Monet, Slijper a institué un musée, le Kunstmuseum de La Haye, son légataire. Comme le fonds Monet, la collection Slijper constitue le premier fods mondial d’oeuvres de l’artiste.
Musée de collectionneurs ayant vocation à apporter un éclairage sur le rôle des amateurs dans la vie des arts, le musée Marmottan Monet a noué un partenariat exceptionnel avec le Kunstmuseum de La Haye pour organiser une exposition totalement inédite qui rend hommage à Slijper et au Mondrian figuratif à travers la présentation de peintures et de dessins majeurs provenant exclusivement de la collection de l’amateur. La moitié des oeuvres sont exposées pour la première fois ensemble : aucune n’a été montrée en France depuis plus de vingt ans.

Effectivement, Salomon B. Slijper fut l’un des collectionneurs les plus (sinon le plus) importants de Piet Mondrian. Mais il eut un intérêt particulier pour les œuvres figuratives du peintre néerlandais. C’est ainsi que cette exposition commence : elle nous présente la figure de Salomon B. Slijper (1884-1971), fils de diamantaire, qui se réfugie aux Pays-Bas lors de la Grande Guerre (1914-1918).

Entrée de l'exposition.
Entrée de l’exposition.
Lièvre Mort. 1891.
Lièvre Mort. 1891.

Cette idée séduisante d’un aspect méconnu chez un artiste est, malheureusement, mal introduite aux visiteurs qui, avant même de rentrer dans les salles de l’exposition, voient la Composition nº IV, une des premières œuvres abstraites de Mondrian.

Elle est accompagnée par le buste de Salomon B. Slijper et Lièvre Mort. Peinte à l’âge de 19 ans, il s’agit d’une nature morte figurative, tout à fait dans la tradition des natures mortes hollandaises et une des premières toiles connues de Mondrian. Ces deux œuvres illustrent le lien entre le collectionneur, l’artiste et sa production figurative.

La Composition nº IV flotte à côté comme le fantôme de la relation indivisible Mondrian-abstraction de laquelle on ne réussit pas à se débarrasser.

 

 

 

 

 

Nous pouvons le comprendre. C’était tentant de boucler la boucle : une des premières toiles de Mondrian avec une des premières œuvres abstraites. La culmination de la recherche artistique du peintre. Mais, nous ne sommes pas venus pour cela. Allons découvrir le Mondrian figuratif.

La salle 2 a comme titre « Peindre dans la tradition ». Des petits paysages, en couleurs silencieux et calmes, nous évoquent la sérénité de la campagne hollandaise de la fin du XIXe siècle. Une peinture intimiste et réfléchie qui nous invite à suivre Mondrian dans sa découverte du pouvoir de la peinture comme représentation de la nature et des sentiments de l’homme, qui observe et s’observe au milieu de sa géographie personnelle.  Cette façon de peindre est héritière de l’école de la Haye, très appréciée par les amateurs d’art de l’époque et dont Slijper ne fut pas une exception.

Trois œuvres de cette première période entre 1898 et 1906.

C’est à ce moment que le sujet de la ferme à Druivendrecht et les moulins apparaissent. Au fur et à mesure, la palette de Mondrian se rend plus vive et lui-même déclara « Les couleurs de la nature ne peuvent pas être reproduites (…) Instinctivement, je sentais que la peinture devait trouver un moyen nouveau d’exprimer la beauté de la nature ». Ce moyen fut le coloris. De plus en plus contrastées, les couleurs dans les toiles de Mondrian cherchent à représenter l’expérience de l’observateur. L’essence des choses et non plus la vision des choses. À partir de ce moment, on considère Mondrian comme un peintre moderne.

Moulin dans le crépuscule. 1907-1908
Moulin dans le crépuscule. 1907-1908

Cette réflexion sur l’essence de la realité se manifeste également dans son adhérence à la théosophie, qui cherche à atteindre la vérité inhérente des choses. La quatrième salle de l’exposition nous montre cette nouvelle période chez Mondrian. Sa propre image semble exprimer sa recherche théosophique, comme nous pouvons le voir dans les trois autoportraits saisissants qui ne laissent pas indifférents au spectateur.

Série d’autoportraits. 1908.

Mondrian commence à développer dans son œuvre un symbolisme de caractère spirituel que les experts mettent en relation avec celui de Van Gogh, que Mondrian découvre à Amsterdam lors d’une rétrospective en 1905.

Deux tournesols mourants accompagnent le spectateur vers une série de peintures avec une forte charge émotionnelle. Le luminisme envahi les peintures et nous ne pouvons que rester fixés devant les regards de deux filles qui nous interrogent avec leurs yeux grands ouverts. Ici, l’exposition réussi à nous faire entrer dans la pensée de Mondrian.

 

 

Tournesol mourant I et II. 1908.

Les couleurs pures et vibrantes, les sujets bien cadrés et le rythme du coup de pinceau nous parlent d’un Mondrian mature (il a dépassé la trentaine) qui se trouve dans un moment de création et d’innovation artistique très intenses. Nous observons comment dans cette période luministe, le contraste des couleurs que Mondrian avait expérimenté dans ses paysages prend plus de force. La figure humaine devient une invitation à la réflexion et le moulin, une sorte de tournesol mécanique, s’érige comme un titan rayonnant, fier de son rôle de maître des vents.

Jeune enfant. 1906-1907; Portrait d'une jeune fille. 1908, Moulin. 1908; et Dévotion. 1908.

Jeune enfant. 1906-1907; Portrait d’une jeune fille. 1908, Moulin. 1908; et Dévotion. 1908.

 

Cette description visuelle de l’évolution du peintre néerlandais est interrompue par un évènement qui va marquer la vie de Slijper, de Mondrian et de la postérité de son œuvre. En 1919, l’ami et collectionneur de Mondrian, s’engage à acheter, sans les voir, toutes les œuvres restées dans l’atelier que Mondrian avait à Paris. Ces œuvres vont intégrer plus tard le noyau des fonds du Kuntsmuseum de la Haye, exposé aujourd’hui au Marmottan Monet.

En reprenant le processus créatif de Mondrian, l’exposition s’arrête sur un moment clé chez l’artiste : le cubisme. Mondrian a 40 ans et, après avoir connu l’œuvre de Braque et Picasso, l’artiste fait une tournure assez radicale. Son coloris est abandonné et il récupère la palette sombre de ses débuts. Mais, attention, ce n’est pas de l’abstraction. Les sujets restent reconnaissables. Néanmoins, l’arbre et la recherche pour les lignes verticales s’imposent.

Portrait d’une dame

Portrait d’une dame et Composition : Arbres 2. 1912

Peu à peu, Mondrian approfondit dans sa recherche de l’essence des choses et parvient à faire ses premières œuvres abstraites. Cependant, il n’abandonne pas la figuration. Les dernières salles de l’exposition nous montrent cette coexistence.

Du fait, lui-même nous parle de son ressenti pour ses œuvres figuratives : « …je les aime beaucoup et je continue à les trouver bonnes, bien que mes conceptions aient évolué. (…) L’esprit, qui est intérieur, reste toujours le même ».

Autoportraits datant de 1912.

De façon très romantique, l’exposition finit avec une série d’aquarelles représentant des fleurs. Le cartel nous raconte que Mondrian peignait une fleur chaque matin « à la manière d’un musicien qui commence sa journée en faisant ses gammes ». Il serait très joli de penser à  Mondrian chaque matin qui, pour débuter son processus créatif, avait besoin de se consacrer à la représentation de la nature.

Personnellement, nous ne pouvons pas penser qu’une fois l’artiste a créé son propre langage pictural, sa production est réduite à cette façon de s’exprimer. Ainsi, Mondrian n’est pas l’exception. Néanmoins, quand en 1930 Slijper lui demande d’exécuter pour lui une œuvre « à l’ancienne » il lui répond « Je n’ai absolument pas le temps de produire une œuvre dans l’esprit dont tu me parles (…) cette œuvre me prendrait beaucoup de temps et je n’en ai pas ».

Cette négative provoque une rupture entre les deux et, depuis, Slijper renonça à acheter ses œuvres directement au peintre.

 

Chrysanthèmes. 1917 et 1916.

 

Cette exposition est forte intéressante. Elle permet au public de suivre le parcours artistique de Mondrian et sa peinture. Très souvent, quand on parle d’art contemporain, on entend dire que ce sont des œuvres « trop simples » à faire, que la technique n’est pas assez élaborée, etc. De la même façon que l’exposition débute avec une peinture abstraite, la dernière œuvre avant de quitter le monde figuratif de Mondrian est Composition avec grand plan rouge, jaune, noir, gris et bleu (1921). Exposée pour la première fois en France, elle a comme particularité d’être l’une des trois compositions néoplasticistes de Mondrian que Slijper eut dans son pouvoir. Représente-t-elle un investissement ? Une réconciliation ? La reconnaissance de l’amateur du génie de l’artiste ?

Le fait de pouvoir rencontrer les œuvres de jeunesse de l’artiste permet de comprendre l’évolution de ses réflexions, ses expérimentations et de voir comment il est parvenu à créer son langage pictural. Aujourd’hui, tout le monde est capable de reconnaître une peinture néoplasticiste de Mondrian. On reconnait le rouge, le bleu et le jaune ; les lignes verticales et horizontales qui génèrent de nouveaux plans dans la peinture. L’artiste nous partage sa synthèse de la nature mais, pour y arriver, il a dû peindre l’arbre, le tournesol et le moulin. Il a dû mélanger dans sa palette toutes les couleurs. Il a dû représenter son « je » théosophiste, son « je » traditionnel, son « je » cubiste. Pour comprendre Mondrian, nous devons l’accompagner dans sa démarche.

Visiteurs devant Autoportrait et Composition avec grand plan rouge, jaune, noir, gris et bleu. 1918 et 1921.Composition avec grand plan rouge, jaune, noir, gris et bleu. 1918 et 1921.

Visiteurs devant Autoportrait (1918) et Composition avec grand plan rouge, jaune, noir, gris et bleu (19219.

Plus que « Mondrian figuratif » cette exposition pourrait s’appeler « Mondrian et la figuration » puisqu’il n’existe pas un Mondrian figuratif en tant que soi. Au-delà de la figuration ou de l’abstraction, Mondrian a été un peintre de l’essence des choses. La figuration lui a accompagné pendant toute sa carrière comme un langage de plus dans son multilinguisme technique. Celui-ci lui a permis d’exprimer sa synthèse du monde à travers de ses oeuvres.

Dans les deux images ci-dessus on peut observer la magie de l’art et de son dialogue éternel : derrière les toiles, il y a le Mondrian peintre ; devant, le Mondrian sujet de son art. En tant que peintre, il observe ; en tant que sujet, il est observé. Est-il plus présent dans son autoportrait que dans la composition ? Si nous avons compris sa démarche, la réponse est non. L’essence de Mondrian est également présente dans la composition, puisque la synthèse de sa réalité est là. À nous de nous abstraire pour le voir.

Alejandra Alonso Tak.

Exposition « Mondrian figuratif ».

Musée Marmottan Monet. Du 12 septembre 2019 au 26 janvier 2020.

2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris. Tel. : + 33 (0)1 44 96 50 33

Tarifs:

Plein : 12€

Réduit : 8,50€

Enfants de moins de 7 ans GRATUIT.

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A propos Alex Tak 1 Article
Historienne de l'art. Moitié coréenne-moitié espagnole. Passionnée par l'art, la culture et la transmission. "Sans amour, l'art n'est que de la technique". Rodin dixit.

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