Voyage sur la Route du Kisokaidō De Hiroshige à Kuniyoshi

Etant fortement intéressé par l’histoire de l’Asie et du Japon, mon attention a été récemment tournée vers l’exposition au Musée Cernuschi, intitulé Voyage sur la route du Kisokaidō De Hiroshige à Kuniyoshi.

Cette exposition est d’autant plus importante, car elle est en effet un « retour à la vie » de musée, fermé auparavant pendant 9 mois à l’issue d’un chantier de rénovation. Le dispositif nécessaire a été soigneusement mis en place pour accueillir les visiteurs et leur proposer un chemin à travers les images du Japon à l’époque d’Edo.

En parlant des images, ce sont elles qui sont au coeurs de l’exposition. Elle rassemble un ensemble inédit de près de 150 estampes japonaises, dont certaines sont montrées pour la première fois au public. Ces estampes présentent la route de Kisokaidō, une des cinq voies de réseau routier créé au Japon durant l’époque du shogunat des Tokugawa (1603-1868). Cette route joue un rôle de liaison entre Edo – lieu de résidence de shogun (actuelle Tōkyō) et Kyoto, le siège de l’empereur. Elle jalonne en soixante-neuf étapes traversant l’intérieur montagneux, suivant ainsi un itinéraire très long, dès fois plus pittoresque et ardu, marqué par la présence de neuf cols escarpés. Les voyageurs – pèlerins marchands moines itinérants et même des touristes – se déplacent à pied, il faut au moins deux semaines pour parcourir le trajet complet.

Entre 1835 et 1838 cette fameuse route fait l’objet d’une série d’estampes réalisées par Eisen (1790-1848) et Hiroshige (1797-1858), dont le succès est considérable. A ces représentations s’ajoutent deux autres séries, qui voient le jour sous le pinceau de Kunisada (1786-1865) et de Kuniyoshi (1797-1861). Dans ces créations, où chaque estampe est associée à une étape de la route, les artistes abordent le même thème de manière personnelle, laissant exprimer leur propre vision de la route, en s’inspirant du théâtre kabuki, de la littérature et des légendes du folklore japonais.

Le spectateur débute son « voyage » par la mise en contexte historique et géographique. La première salle nous éclaire sur la position géographique de Kisokaidō, ainsi que sur ses différentes étapes. A disposition des spectateurs sont mis des panneaux numériques. Ils présentent des vidéos et des photos de la route donnant une première impression sur la vie sur cet axe routière avec la vue sur les paysages et les « acteurs » de Kikosaidō. Ce dispositif dévoile une serie d’images autour d’une sélection de 8 relais. Des photographies de l’ère Meiji (1868-1912) et contemporaines sont mises en parallèle, illustrant l’évolution des paysages de la route d’hier à aujourd’hui.

La première salle donne ensuite l’accès au début de l’exposition qui compte  plusieurs petites salles. A l’entrée de chaque salle se trouve un panneau explicatif qui nous donne des informations générales sur chacune des séries des estampes, ainsi que sur le contexte de leur production. Les estampes sont aménagées sur le mur formant une ligne à la hauteur des yeux de spectateur, ce qui facilite l’approche et l’analyse des images, des couleurs et des personnages. J’ai trouvé l’idée de l’aménagement des estampes en ligne très intéressante car dès le début elle nous donne l’impression de s’immerger dans un voyage, un véritable chemin où la quête est la découverte des images du Japon à l’époque d’Edo.

    

 

L’exposition des estampes est elle même divisée en deux parties. Première partie est consacrée à l’oeuvre de Keisai Eisen (1790-1848) et Utagawa Hiroshige (1797-1858) provenant de la collection Georges Leskowicz. Eisen et Hiroshige sont deux figures incontournables de l’art japonais, particulièrement renommés pour leurs estampes gravées sur le bois de l’ukiyo-e (« images du monde flottant »). C’est Eisen qui commence la réalisation de cette série, qui est ensuite achevée par Hiroshige. Elle relève plus précisément du genre meisho-e, voué à la représentation des plus célèbres vues du pays. C’est un véritable hommage à la beauté et à la quiétude des paysages montagneux à l’intérieur du Japon, qui comporte vingt-quatre estampes d’Eisen et quarante-sept estampes de Hiroshige. Eisen choisit les étapes sans souci de cohérence topographique alors que Hiroshige voyage sur la route en 1837 faisant des croquis, aujourd’hui conservés au British Museum à Londres. Hiroshige renomme ses compositions, il saisit les moindres variations de spectacle éphémère de la nature qu’il y représente.

La deuxième partie de l’exposition des estampes est consacrée à l’oeuvre de Utagawa Kuniyoshi (1797-1861) qui est l’un des maitres les plus singuliers de l’ukiyo-e. Il reprend le même thème que ses prédécesseurs avec un angle différent, teinté de l’humour. Il aborde le sujet de manière personnelle, il s’inspire ainsi de la littérature classique, du théâtre des marionnettes, de kabuki et du nō. Ses estampes présentent des références aux légendes du folklore japonais avec entre autres les fantômes, les esprits, les samouraïs et les courtisanes. Il y évoque des épisodes littéraires et historiques populaires à l’époque d’Edo (1603-1868), comme La Chronique des huit chiens de Satomi du Kyokutei Bakin (1767-1848), paru en 106 volumes de 1814 à 1842. Ces estampes proviennent de l’ancienne collection de Henri Cernuschi et ont fait l’objet d’une restauration récente. Réunies en deux albums elles sont présentées aux visiteurs pour la première fois.

                      

 

Le voyage de spectateur dans cette exposition est enrichi par une sélection d’objets qui peuvent être aperçus sur certaines estampes. Ces objets se trouvent dans les vitrines disposées au milieu des salles, ils donnent une idées des moeurs japonais de l’époque d’Edo et permettent aux visiteurs de se plonger au quotidien de Kisokaidō. Parmi ces objets on trouve entre autres des boites à pique-nique ou des nécessaires de fumeur. Bien que les objets figurants sur les estampes sont simples et d’usage quotidien, les objets sélectionnés sont des véritables oeuvres d’art au raffinement extrême. L’exposition présente aussi des objets de luxe, figurants sur les images créées par Kuniyoshi. On y trouve entre autres des armures et des sabres qui témoignent du pouvoir des seigneurs féodaux et évoquent également les mises en scène des pièces de kabuki.

      

Un aspect intéressant de l’exposition est un dispositif numérique mis à disposition des spectateurs, qui permet d’approfondir encore plus le voyage imaginé de Kisokaidō. Ils sont ainsi invités d’appréhender l’art de la gravure par la découverte de processus de fabrication d’une estampe par une vidéo projetée. De plus en raison de contexte sanitaire et de l’impossibilité de déplacement des oeuvres, une projection de la quatrième série des estampes – celle de Kunisada, (1786-1865) se trouvant au Museum of Fine Arts à Boston – a été mise en place dans l’une des salles pour compléter ce panorama des images du Kisokaidō. Cet ensemble met en scène des acteurs de kabuki, une des formes traditionnelles du théâtre japonais. Elles associent ainsi le lieu et l’acteur par un jeu de mots ou par la présence d’un accessoire incongru.

Ainsi l’exposition Voyage sur la route du Kisokaidō De Hiroshige à Kuniyoshi offre un voyage unique par l’imagerie du Japon à l’époque Edo. Les estampes et les différents objets permettent aux spectateurs de se plonger au coeur du quotidien de ce grand axe routier et de découvrir les épisodes populaires du folklore japonais. A coté de chaque estampe on peut retrouver une petite explication avec le titre et la date, j’ai trouvé pourtant un peu dommage le faite qu’il n’y ait pas davantage d’explications. C’est par ce fait que la visite nécessite l’accompagnement d’un guide, qui permet d’éclairer les visiteurs sur certains aspects des oeuvres, notamment sur les distinctions des procédés stylistiques et des personnages. Ces explications sont nécessaires pour pouvoir comprendre la démarche des artistes, mais aussi pour approcher les différentes éléments du folklore japonais. Avec les réponses du guide le spectateur peut alors pleinement profiter de la richesse qu’offrent les estampes et creuser lui-même pour déchiffrer le sens qui se cache derrière les différents personnages et les couleurs.

Si vous êtes intéressés par l’imagerie et le folklore du Japon à l’époque d’Edo, découvrez ce voyage par vous mêmes!

Voici le programme préparé par le musée pour les visites et bien d’autres activités!

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A propos jeremiasz blachnik 12 Articles

Un auteur inconnu et rêveur, j’ai souvent les pensées perdues dans les débats philosophiques avec les nuances de mon existence. Passionné par l’Histoire, l’Art et la Littérature, je m’envole souvent vers les pays lointains, remplis de mystères et de fantaisie. L’exploration et l’aventure sont mes deux soeurs et la légende est mon futur surnom. Diplômé d’une double licence d’Histoire de l’Art et Archéologie et Histoire à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, je suis actuellement en Master 1 de Communication du savoir, Technologies de la connaissance et Management de l’information.

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