Le Greco au Grand Palais : piété et étrangeté

exposition Le Greco au Grand PalaisLe Greco au Grand Palais,  jusqu’au 10 février 2020

 

Mystérieux, original, hors norme… difficile de qualifier correctement la peinture du Greco et d’expliquer en quoi elle est si choquante. Le Greco était-il fou ? astigmate ? Les diverses hypothèses avancées n’ont pu altérer l’étonnement que ce génie pictural provoque. Pourtant, le Greco s’ancre en fait dans son époque, éprise de maniérisme et de Contre-Réforme, mais il est vrai qu’avec du recul, ce peintre peut être considéré, peut-être, comme le père des avants-gardes.

 

Le Greco au Grand Palais, Un peintre byzantin épris de Renaissance italienne

 

Le Greco, Saint Luc peignant la Vierge, 1560-1566, tempera et or marouflée sur bois, Athènes, musée Benaki

La carrière d’un génie, voici ce que se propose de retracer l’exposition, en quelques 75 oeuvres représentatives. La première salle est particulièrement intéressante en ce qu’elle présente les toutes premières peintures de l’artiste, qui sont en fait des icônes. Né à Héraklion en Crète, région alors dominée par Venise, le Greco se forme en fait dans la tradition byzantine, ce qu’on oublie trop souvent. Peut-être est-ce là une première originalité qui détermine, dès les débuts, le peintre à se faire remarquer.

 

 

 

 

Après cette formation extrêmement traditionnelle, où l’artiste est un méticuleux artisan qui écrit son icône en respectant des règles bien précises, le Greco rêve du statut d’artiste comme créateur, concept introduit par la Renaissance italienne. La scène artistique est alors écrasée par l’ombre de deux géants : Titien, et Michel-Ange ; Titien aux scintillantes couleurs vénitiennes, Michel-Ange à la force musculeuse. Et pourtant, le Greco parvient à trouver sa propre voie, originale, personnelle, unique, et que personne après lui ne pourra imiter ; n’est-ce pas le trait d’un génie ? Il débarque à Venise en 1567 et se confronte au marché de l’art dominé par les grandes figures de Titien, Tintoret, Jacopo Bassano. Eblouissement pour le jeune peintre d’icône, dont le style change du tout au tout et se jette dans le colorito.

Le Greco, Autel portatif, dit Triptyque de Modène, 1567-1569, tempera sur panneau, Modène, Galleria Estense

Petit objet de dévotion privée, ce triptyque portatif est souvent considéré comme le point de départ de la carrière renaissante de Greco ; il présente déjà des caractéristiques qui se retrouvent ensuite tout au long de sa carrière, comme la ligne dansante et les couleurs extrêmement vives.

Le Greco, Jeune garçon soufflant sur une braise (El Soplón), vers 1569-1570, huile sur toile, Madrid, collection Colomer

Sans doute peinte lorsque Greco est encore à Venise, cette oeuvre illustre son intérêt pour l’étude sur le vif et le clair-obscur.

 

Les premières années à Rome

 

Le Greco, Pieta, vers 1575, huile sur panneau, Philadelphie, Philadelphia Museum of Art

Espérant trouver plus de commandes, Greco part à Rome en 1576. N’ayant encore aucune renommée pour obtenir de grandes commandes de fresques ou de palle, mais déjà inscrit sur les registres de l’Académie de Saint Luc, il se cantonne au domaine des panneaux de dévotion privée sur bois, qui font échos à sa première formation. Ces petits formats lui permettent d’expérimenter de nouvelles iconographies, qu’il réemploie par la suite.

 

 

 

 

 

Cependant dès les premières années romaines, Greco reçoit de nombreuses commandes de portraits, commandes qu’il honore dans une facture très personnelle. De tels portraits sont aussi de précieux indices de sa fréquentation des cercles humanistes de son temps.

 

Le Greco, Portrait d’un gentilhomme de la maison de Leiva, vers 1580, huile sur toile, Montréal, Musée des Beaux-Arts de Montréal
Le Greco, Portrait d’un sculpteur (Pompeo Leoni?), vers 1577-1580, huile sur toile, collection particulière

Plaçant son modèle sur un fond neutre et sombre, le Greco joue sur le contraste lumineux pour faire ressortir la carnation de son modèle, soulignée par une fraise éclatante en dentelle blanche ; un tel portrait tonal, sobre et majestueux correspond à l’élégance du gentilhomme prescrite par Castiglione dans son ouvrage Le Courtisan. 

 

 

 

 

Le Greco, Portrait du cardinal Niño de Guevara, vers 1600, huile sur toile, New York, The Metropolitan Museum of Art

 

 

 

 

Ce portrait du grand Inquisiteur d’Espagne, nommé peu après évêque de Séville, trouve une postérité évidente chez Velazquez, lui-même repris par Bacon.

 

 

 

 

 

 

 

Le Greco, Portrait du frère Hortensio Félix Paravicino, vers 1609-1613, huile sur toile, Boston, Museum of Fine Arts

 

L’Espagne et ses nouvelles perspectives

Le Greco, L’Adoration du nom de Jésus, sit aussi Le Songe de Philippe II, vers 1578-1579, huile sur toile, collections royales du monastère de l’Escorial

Alors que les hautes commandes romaines lui sont toujours fermées, le Greco entend parler de la grande politique de travaux et de décoration menée par le roi d’Espagne Philippe II à l’Escorial. Le peintre s’installe donc à Tolède et reçoit plusieurs commandes royales. L’Adoration du nom de Jésus, parfait manifeste de la Contre-Réforme, est particulièrement loué et apprécié.

Cette grande palla ou tableau d’autel est tout à fait caractéristique du style du Greco, de par les couleurs acidulées, presque agressives, et de par le canon élancé, déformé, flammulé des personnages, de plus en plus allongé à mesure qu’il s’élève vers le divin. Selon les prescriptions de la Contre-Réforme, la séparation entre le registre terrestre et le registre céleste est clairement marquée ; émergeant d’une nuée, les lettres IHS (Iesus Hominum Salvator) rayonnent d’une splendeur divine apte à éclairer la composition entière.

 

Le Greco, L’Adoration des bergers, vers 1579, huile sur toile, collection de la Fondation Botin

 

Outre les commandes royales, le Greco parvient à se faire apprécier des commanditaires privés, les grandes familles de Tolède cherchant à décorer leur oratoire. Pour y répondre, le Greco s’entoure d’un atelier important, où se forme son propre fils. Son style bien particulier, et surtout sa capacité d’invention, de variation autour d’un sujet iconographique classique, sont particulièrement appréciés, tranchant totalement avec les représentations frontales et hiératiques de l’époque précédente. La touche, allusive et rapide, se fait magistrale sur les drapés, qui, variant d’une couleur à une autre, forment ce que l’on appelle des cangianti.

Le Greco, La Sainte Famille avec sainte Marie-Madeleine, vers 1600, huile sur toile, Cleveland, The Cleveland Museum of Art
Le Greco, La Vierge Marie, vers 1590, huile sur toile, Strasbourg, musée des Beaux-Arts
Le Greco, Sainte Marie-Madeleine pénitente, vers 1584, musée de Kansas City, Missouri
Le Greco, Saint Martin et le mendiant, 1597-1599, huile sur toile, Washington, National Gallery of Art

 

 

Le Greco, Saint Pierre pénitent, vers 1595-1600, Washington, The Philips Collection
Le Greco, Sainte Véronique, vers 1580, huile sur toile, Tolède, Museo de Santa Cruz

 

Le Greco, Le Christ ressuscité et son tabernacle, vers 1595-1598, bois polychrome et bois doré, Tolède

Comme tout artiste de la Renaissance, le Greco se doit d’être un homme complet, et n’en reste pas au seul domaine pictural ; lecteur de Vitruve, il conçoit des architectures éphémères, des retables, des tabernacles. Celui conçut pour l’hôpital de Tavera était un véritable monument miniature qui abritait un ensemble de sculptures dont Greco lui-même était l’auteur, et dont seul le Christ ressuscité nous soit parvenue : il s’agit de la seule statue de Greco connue.

 

Résumé synthétique de toute l’évolution stylistique du peintre, une des dernières salles de l’exposition Le Greco au Grand Palais,  se propose d’étudier comment le Greco a traité le thème du Christ chassant les marchands du temple tout au long de sa vie. Au-delà des évolutions chromatiques et formelles, c’est tout le cheminement du peintre vers la pureté absolue de son art qui est perceptible.

Le Greco, Le Christ chassant les marchands du temple, vers 1570, huile sur panneau, Washington, National Gallery of Art

 

Le Greco, Le Christ chassant les marchands du temple, vers 1575, huile sur toile, Minneapolis, Minneapolis Institute of Art

 

Le Greco, Le Christ chassant les marchands du temple, vers 1610-1614, huile sur toile, Madrid

 

La première version, sage, aux détails finement précisés, rappelle presque un Titien ; puis dans la seconde les drapés se font davantage sculpturaux, les couleurs s’acidifient, la lumière vient violemment illuminer les roses et souligner les bleus : le Greco prend possession de son style. Enfin dans la dernière les personnages s’étirent de plus en plus, se distordent même, les têtes se rétrécissent au profit de corps immenses engoncés dans des drapés mouvementés ; l’ombre se fait plus noire et marquée, la composition moins lisible : nous sommes bien là devant une peinture de la fin de sa carrière.

Le style maniériste de Greco résiste, tant bien que mal, à l’entrée dans le XVIIe siècle, peut-être grâce à l’isolement de la ville de Tolède. Bien loin de se ranger à la nouvelle mouvance baroque, il devient de plus en plus outré, mouvementé, démesuré. Une touche éblouissante et fantastique par certains aspects, longtemps oubliée, et qui n’est redécouverte et remise en lumière qu’avec l’arrivée des avants-gardes au XXe siècle.

Le Greco, L’ouverture du cinquième sceau, dit aussi La Vision de saint Jean, 1610-1614, huile sur toile, New York, The Metropolitan Museum of Art

 

 Informations pratiques :

Exposition Le Greco au Grand Palais jusqu’au 10 février

Lundi, jeudi, dimanche de 10h à 20h / Mercredi, vendredi et samedi de 10h à 22h.
Fermeture hebdomadaire le mardi – Fermé le 25 décembre 2019

Plein tarif : 13 €
Tarif réduit : 9 €
Tarif tribu (4 personnes dont 2 jeunes de 16-25 ans) : 35 €

Grand Palais 3, avenue du Général Eisenhower
75008 Paris

 

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A propos Victoire Ladreit de Lacharrière (Houdré) 13 Articles
Etudiante à l'Ecole du Louvre, je suis passionnée par la peinture française et européenne, peut-être parce que j'aime moi-même peindre et dessiner. Amateur d'art, artiste en herbe ou simple curieux, suivez-moi à travers les expositions parisiennes et je vous ferai découvrir ma passion pour l'art classique !

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